Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



mercredi 13 février 2013

La tradition est un mouvement




Paris, l’hiver 2003. Sous la couette, Jean-Jacques et Séverine Bonnie réfléchissent intensément. Alfred, le père de Jean-Jacques vient de leur faire le genre de proposition qui est de nature à provoquer quelques nuits sans sommeil. Le matin, en partant vers leurs bureaux respectifs, la possibilité de Pessac a beaucoup grandi.

Alfred Bonnie a vendu sa société et acquis une belle endormie, le château Malartic-Lagravière, cru classé de Pessac-Léognan, en 1996. Cinquante hectares de vignes, un terroir qui force l’admiration des professionnels, des installations à revoir de fond en comble. Il se met au travail. C’est le départ en retraite du directeur technique qui lui donne l’idée d’appeler son fils à la rescousse. Bien lui en a pris. Jean-Jacques et Séverine arrivent au domaine.
Il enfile des bottes de caoutchouc, elle s’occupe de la communication, son métier d’avant. Dix ans passent, la greffe est un succès. Jean-Jacques, avec de l’humilité et du travail, est devenu un très bon pro, aux commandes d’un portefeuille de marques impressionnant. Après Malartic, Alfred s’est laissé convaincre par son œnologue-consultant, le très fameux Michel Rolland, d’investir dans un projet fou, le Clos de Los Siete, à Mendoza, Argentine. Une winery somptueuse sort de terre, et 650 000 bouteilles arrivent sur les marchés. Plus tard, en 2006, il fait l’emplette d’une petite propriété de 22 hectares, voisine de Malartic, le château Gazin-Rocquencourt. Jean-Jacques et Séverine en profitent pour déménager. C’est une jolie maison, bien restaurée, mais Jean-Jacques s’interroge, ou fait semblant : « La maison est sans doute construite sur la meilleure parcelle du domaine. » On sent que ça l’ennuie. Non, il ne va pas la démolir pour planter du cabernet. Quoique.

Ce grand blond aux cheveux longs, avec ses faux airs à la Jeff Bridges, l’acteur américain so cool, a trouvé sa place aux côtés des vignerons des domaines. L’intégration est réussie. Il a la responsabilité de tous les vignobles Bonnie et préside aux destinées de quatorze étiquettes en tout. Avec deux récoltes par an, hémisphère nord, hémisphère sud, l’expérience s’acquiert deux fois plus vite.
Ici comme là-bas, Michel Rolland est celui qui l’accompagne. Il y a beaucoup gagné. « C’est un palais d’enfer, une leçon de dégustation, de vins comme de raisins, et un assembleur hors-pair. Il n’impose rien. Il accompagne ton travail dans le sens que tu as choisi. Il t’apporte un recul que tu n’as pas, avec une vision très globale de la région. Bien sûr, il ne vient qu’une fois par semaine, mais entre deux visites, il goûte ailleurs, sans cesse, il voit évoluer la plante. Du coup, c’est un regard unique et indispensable. Il cherche toujours le compromis, il est très pragmatique. À mon père, il a apporté un truc énorme : de quoi se faire une opinion. S’il m’arrive de ne pas suivre ses conseils, au moins m’a-t-il aidé à réfléchir à ce qui compte. » Bel hommage de l’élève au maître.

D’entrée, Jean-Jacques Bonnie a pris le pli de la modernité dans l’approche, c’est-à-dire un grand bond en arrière. Herbicides et pesticides sont bannis depuis le premier jour, tout est labouré et Gazin-Rocquencourt est en bio « responsable ». L’expérience se poursuivra à Malartic, si c’est concluant. « Je ne suis sûr de rien et je ne cherche qu’à améliorer la qualité des raisins, pas celle de la communication. Je refuse de céder aux modes. Évoluer, chercher, oui. Il y a un devoir de novation. La tradition est un mouvement. » Il y a de la maturité dans ces propos-là.
Quand il évoque les affaires de la maison Bonnie, Jean-Jacques est aussi net. « C’est évidemment un investissement de long terme. Les affaires viticoles ne sont pas encore rentables. En revanche, si nous vendions les domaines maintenant, la plus-value serait déjà considérable. Oui, nous vendons ce que nous produisons, mais il y a des marchés où j’aimerais que nous soyons mieux implantés, le Royaume-Uni, par exemple. » 
Se voit-il en grand homme de Malartic ou en collectionneur de vignobles ? « Ni l’un, ni l’autre. Sans être dans une recherche active, nous regardons tous les dossiers. Mais il y a une consolidation de l’existant à mener. Une fois que ces bases seront posées, j’aime bien l’idée de faire croître et embellir ce que mes parents ont initié. Cela dit, je ne travaille pas pour ça, cette vision à très long terme m’est assez étrangère. Pourtant, il y a une gestion qui profite de l’effet de taille, il y a des synergies très profitables, nous les sentons déjà à notre niveau. Le management par cellules séparées, c’est bon pour les terroristes, pas pour nos vignobles. » 

En bavardant, nous regardons les vendangeurs s’activer entre les rangs. Dans dix minutes, ils auront fini. La pluie est prévue, on la sent qui menace. Elle aura le bon goût d’attendre que tout soit rentré. Il y a des gens qui méritent un petit coup de pouce du ciel, de temps en temps.


La photo :  Jean-Jacques Bonnie, photographié par Patrick Cronenberger

9 commentaires:

  1. Mais Alfred Bonnie est le père de Séverine et non pas de Jean-Jacques?

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  2. "la recherche constante de la qualité et la connaissance profonde du terroir nous permettent d'appliquer une agriculture raisonnée (certification agrocert en 2008)..."(http://www.malartic-lagraviere.com onglet "à l'écoute de la vigne) c'est donc ça le bio "responsable". Si on faisait un procès à tous ces mecs qui te disent qu'ils sont en "bio" mais que comme ils cèdent pas aux effets de mode ils disent pas qu'ils sont en bio mais en fait ils le sont pas mais en fait ils le sont quand même, on pourrait gagner un tas de pognon, peut être même de quoi se payer une caisse de leur super pinard!

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    1. Tu devrais essayer. Sinon, j'ai deux, trois flacons qu'on boira ensemble dans dix ans

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    2. je pourrai venir ?
      Claire

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    3. Claire, vous serez la bienvenue

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    4. ok je note ;)Claire

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  3. Dis-donc, Nicolas ! Des vendangeurs dans les vignes le 13 février ? Tu es allé en argentine ou tu nous sors un truc que tu avais oublié sur ton bureau ...

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    1. Ce n'est pas un reportage que j'ai fait hier, je le concède. Mais pile en fin de vendanges. Et que j'ai publié dans "Un dimanche rouge et blanc", le supplément Vin du Journal du Dimanche.
      Pour l'Argentine, je suis partant à tout moment, Mendoza est une ville charmante.

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